Ci-dessous, un article de Hervé Liffran, paru dans Le canard enchaîné (23.05.2018)
Remise en question de la loi Littoral, réduction du contrôle des architectes des Bâtiments de France… La loi Elan dégage la route aux bulldozers.
L’examen, à l’Assemblée, du projet de loi Elan – destinée à accélérer les procédures d’urbanisme – a ouvert toutes grandes les vannes des bétonneuses. Première victime : la loi Littoral, votée en 196 au Parlement (à l’unanimité) pour protéger de l’urbanisation les territoires côtiers. Avec l’avis « tout à fait favorable » du gouvernement, la commission des Affaires économiques à adopté, le 16 mai, des amendements qui ouvrent des brèches dans ce texte considéré comme sacré par les défenseurs de l’environnement.
Le projet, proposé le 30 mai à l’ensemble des députés, permettra de construire dans des « zones d’urbanisme diffuse » situées en bord de mer. « En clair, de bétonner des espaces restés à l’état naturel entre des constructions existantes« , résume Julien Lacaze, vice -président de l’association Sites & Monuments. Les maires pourront même y installer des équipements industriels à alibi écolo, du type centrale photovoltaïque ou éolienne.
Hulot… périmé ?
Le projet de loi libéralise, en outre, la possibilité de construire des installations agricoles dans des zones côtières censées rester vierges. Pour calmer les grincheux, le gouvernement a seulement promis, par la voix du secrétaire d’État Julien Denormandie, que la bande des 100 mètres mesurée à partir du rivage demeurerait inconstructible. C’est trop ! Dénoncés également par la puissante fédération France Nature Environnement, ces amendement ont, en revanche, été accueillis par un silence étourdissant de Nicolas Hulot. De quoi se tenir les côtes : en janvier 2017, le futur ministre de la Transition écologique figurait parmi les premiers signataires de la pétition « Ne touchez pas à la loi Littoral ! » Cet appel avait conduit au retrait d’un texte, élaboré par le sénat, ressemblant comme deux gouttes d’iode à l’actuel.
Avis pour du beurre
Emportés par leur Elan, l’Élysée et Matignon ont également bétonné les projets de construction sur l’ensemble du territoire. Avec l’article 24, qui limite fortement les possibilités de recours en annulation des permis de construire, y compris pour les associations. Et surtout, avec l’article 15, qui rogne fortement les ailes des architectes des Bâtiments de France (ABF). L’accord de ces fonctionnaires du ministère de la Culture est indispensable pour tous les chantiers concernant un monument, ses abords ou un site protégé. Mais certains maires les accusent de se montrer trop tâtillons et de gêner le développement économique.
Les chiffres les contredisent : seulement 6,6 % des 200 000 demandes qui leur sont présentées chaque année font l’objet d’un premier avis défavorable. Mieux : après négociation, il ne reste que… 0,1 % de dossiers refusés par les Bâtiments de France.
Le gouvernement, soucieux de séduire les élus locaux, a décidé de s’attaquer à ce 0,1 % au marteau-pilon. L’avis des ABF sera, à l’avenir, purement consultatif pour les permis de démolition concernant les immeubles (pittoresques ou remarquables, mais non classés) décrétés insalubres ou en péril.
Même régime pour des bâtisses visées par des opérations de revitalisation lancées par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Dans le secteur sauvegardé de Perpignan, par exemple, la mairie et l’Agence pourront concrétiser leurs projets de destruction de certains immeubles médiévaux mesquinement bloqués, jusqu’à présent, par les Bâtiments de France.
Têtes de pioche
Les ABF conserveront leur droit de veto pour certains permis de construire et pour les monuments historiques classés. Une disposition de la loi Elan en dégonfle toutefois la portée. Elle prévoit de ne plus accorder aux préfets qu’un délai de cinq jours pour répondre aux recours en annulation déposés par les promoteurs ou les maires. Passé le temps imparti, l’avis défavorable partira au panier…
Ces dispositions n’ont nullement défrisé Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, qui s’est montrée aussi taiseuse que son collègue Hulot. Pourquoi préférer les vieilles pierres au jeune béton ?