La première soirée du Construction Sociale Club se fera à Sète le 30 juin : accueillie à l’Astragale et organisée en partenariat avec le Working Class Hérault !

 

Nous appelons les maçons, les charpentiers, les tailleurs de pierre, les électriciens, les menuisiers, les peintres, les élagueurs, les plombiers, les ferronniers, les cordistes, les architectes, les chauffagistes, …, apprentis, ouvriers en CDD, artisans à plein temps, intérimaires qui se débrouillent, autoentrepreneurs, mais pas que !

Aucunement l’intention d’être corporatistes, nous appelons donc aussi ceux qui sont dans la solidarité active, les chômeurs, les pêcheurs, les ouvriers, les cheminots, les viticulteurs, les agriculteurs, les héliciculteurs, les étudiants, les cuisiniers, les serveurs, les dentistes, les profs et instits, les mécanos, les éducateurs, les avocats, les couteliers, les artistes, les réceptionnistes d’hôtel, les pigistes, les caissiers, ceux qui ont déjà travaillé dans un centre d’appel ou dans un burger, les infirmiers, les médecins, les boulangers, les assistants sociaux, tous les autres (exceptés les keufs, les ministres, les grands patrons, …) et toutes celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans un boulot.

Nous appelons celles et ceux qui en ont gros sur la patate, qui ont le seum, qui sont dans la hess, celles et ceux qui veulent zbeullifier ce système de merde, les parents qui ont envie de chialer quand ils pensent au monde dans lequel grandiront leur gosses, celles et ceux qui veulent s’en sortir ensemble, relever la tête, par le bas – car rien ne tombera des fenêtres de leur châteaux. Rien ne viendra par le haut si ce n’est d’autres réformes scélérates, des pluies acides et des grenades lacrymo.

Nous appelons celles et ceux qui tentent de devenir adultes dans un monde qui infantilise les masses, celles et ceux qui sont belles et beaux quand les maîtres de pacotille sont moches et cons, celles et ceux qui aiment le partage, la bonne bouffe, la musique festive et populaire, les tambours siciliens, la bonne humeur et l’humour, les sourires, les noms de collectifs qui ont la classe, à venir à la soirée du Construction Sociale Club organisée en partenariat avec le Working Class Hérault, à l’Astragale, afin de discuter du futur de l’humanité.

Hey Manu, tu descends … ?! Lettre ouverte à monsieur le président de la république, écrite entre deux bétonnières

Hey Manu ! enfin cher monsieur le président de la République,

Un pote vient de nous montrer tes prouesses du 18 juin sur son téléphone.

Chercher à casser un jeune devant des caméras quand on s’appelle Manu, qu’on s’est soi-même ridiculisé dans une mauvaise télé-réalité et qu’on doit par conséquent subir les moqueries permanentes des ados qu’on croise dans la rue, ça va. C’est un peu ton cas, c’est vrai. Tu es donc à moitié pardonnable car il n’est pas évident de se faire passer pour une jeune star quand la majeure partie de la jeunesse t’exècre. Mais quand en est président de la République, ce n’est pas très subtil. Tweeter, comme Trump l’aurait fait, la vidéo sur son compte twitter officiel est une attitude carrément déplacée, malpolie et infantile. Tu manques vraiment d’éducation.

Mais est-ce le compte de Manu ou celui du président ?

Docteur Manu and mister president ?

Voir la vidéo sur le tweet :
https://twitter.com/i/status/1008770776391127042

“Tu fais les choses dans le bon ordre. Le jour où tu veux faire la révolution, t’apprends à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même et à c’moment là t’iras donner des leçons !”
Monsieur le président, qu’aviez-vous donc encore (ap)pris ?

Ta conversation détendue, c’est la détente version guerre (civile) froide !

En somme, si tu n’as pas de diplôme, que tu n’arrives pas à te trouver une situation, tu n’as aucune légitimité pour faire la révolution ?
Le nouveau sujet révolutionnaire : sans doute les ingénieurs à Grenoble et les radiologues. Ou est-ce qu’un CAP en maçonnerie ça compte ?

Qu’importe. De toute façon, “T’apprends à avoir un diplôme”, est une bien laide formulation.

Vous déclarez aussi “aujourd’hui c’est la Marseillaise et le chant des partisans” et vous accusez l’adolescent de vouloir faire la révolution parce qu’il a osé chantonner et vous appeler Manu ce jour là … Pour lui, la figure du président de la république peut très bien se résumer à “Manu”. Pour vous, commémorer le 18 juin, ça se résume à deux chansons.

Et puis Manu, tu vois la révolution partout. En as-tu si peur ?

Mister président, si vous considérez comme un potentiel révolutionnaire quiconque ne reconnaît pas votre majesté, ne se considère pas comme inférieur à vous, vous voit tout au plus comme un représentant de commerce, arrogant, ridicule, dangereux et sans doute un peu fou, ce n’est plus un spectre qui hante l’Europe mais une armée de fantômes qui doit vous réveiller chacune de vos nuits.

Viens faire des chantiers avec nous, Manu, tu dormiras mieux. On te fait l’apprentissage. Manœuvre ça te va ? Ensuite, tu pourras passer des diplômes. Mais t’inquiète l’important c’est la pratique. Tu peux même venir te former en alternance.

“Vous êtes en quelle classe”, demandez-vous, au garçon et à son pote, sa majesté le président ? “Troisième”, vous répondent-il. “Bon ben y’a encore du boulot, hein”, rétorquez-vous, fier.
Une conception toute particulière de l’éducation, avec des punchlines tirées tout droit des répertoires du paternalisme autoritaire. Genre coup de pression : “faut être à la hauteur, la vie c’est se battre pour être le premier, le meilleur, alors faut se mettre au travail”. Quand vous rencontrez un jeune, lui parlez-vous toujours de la sorte à la première minute de rencontre ? On vous prendrait pour un type vraiment bizarre. Est-ce les caméras qui vous ont donné cet élan de courage? De la société de cour à celle de cour de récré.

Mais docteur Manu, as-tu cherché à mettre en avant tout ce qu’il te reste de grandeur par rapport à lui ? Ton âge, ton absurde statut de président (si l’époque a les présidents qu’elle mérite, au moins c’est clair, on vit une époque de merde) et ton arrogante verve filmée pour les JT.

Ce n’est pas en noyant les autres que vous apprendrez à nager, mister president. On ne vous a jamais appris cela quand vous étiez enfant ?

L’adolescent, qui n’a vraiment rien à se reprocher, au contraire, te demande pourquoi la mention est-elle importante au brevet, sous-entendu on ne vit pas que pour être classé, on ne doit pas confondre la vie et un jeu Nintendo. Ce ne sont que des notes. “Et ben, pour montrer ce dont tu es capable et aller le plus loin possible”, réponds-tu. Puis tu baragouines : “ou comme toujours euh juste la barre … voilà, faut penser à la suite et être un exemple. Ceux que tu es venu honorer aujourd’hui, ils se sont pas juste contentés d’avoir la barre …”

Non De Gaulle ne s’est sans doute pas juste contenté d’avoir la barre, merci pour la finesse mister president.

Quant à ce petit con de Guy Môquet, on ne saura jamais jusqu’où il aurait été. Non mais, mourir avant de passer le bac, quelle outrecuidance !

Par le Construction Sociale Club, le 19 juin 2018

Parco Villa Turrisi : de la Conca d’Oro aux derniers coins de verdure – un reportage du Construction Sociale Club

Notes préliminaires : Le problème mafieux ne touche pas seulement le sud italien, bien qu’il y soit particulièrement grave. Si le Construction Sociale Club s’y intéresse, c’est que le secteur du bâtiment est bien concerné par ce phénomène, même en France : spéculations immobilières, marchés publics truqués, destructions environnementales, exploitation d’une main d’œuvre sous-payée et on en passe … Cet été, nous publierons plusieurs reportages et entretiens sur la Sicile (voici le deuxième écrit par notre envoyé spécial), afin d’envisager la question – et voir ce que nous pouvons faire – dans une perspective internationaliste. Car les mafias, elles, n’ont jamais attendu pour se mondialiser…

Parco Villa Turrisi, dans la périphérie, au nord-ouest de Palerme. C’était la Conca d’Oro, la « coquille d’or », cette plaine qui fut particulièrement célèbre pour ses agrumes. Cette plaine cultivée qui jouxtait encore Palerme avant l’expansion urbaine de la ville, celle qui commença dans les années 50. Celle du Sacco di Palermo, le sac de Palerme durant lequel la mafia, profitant de la folie extensive métropolitaine, s’enrichit sur les marchés publics, sur les spéculations immobilières, sur l’avancée du béton sur ce qui fut autrefois la campagne. Celle qui continua ensuite.

Un jour, dans les années 80, de l’autre côté du parc, des jeunes se sont insurgés contre l’urbanisation. Ils se sont installés sur des terrains qui n’avaient pas encore été construits. Ils les ont nettoyé pour faire un jardin. En toute beauté. En toute illégalité, bien que le maire de l’époque décida de soutenir l’initiative.

Aujourd’hui, le parc est le coin de verdure qu’il reste dans le quartier, le dernier bout de ce qu’y fut la Conca d’Oro. Mais ce n’est pas encore un parc public, c’est un projet pour lequel lutte une association. Association qui lutte aussi pour l’établissement d’une voie verte qui relierait Palerme a Monreale grâce à l’ancienne voie ferrée. Dans le parc, il y a les signes de la vieille voie, dont cette vieille gare qui n’a jamais servi, mais qui officiellement appartient encore à l’État.

D’ailleurs, le 7 avril 2015, le maire de Palerme a reconnu que Villa Turrisi devrait être un parc public. Depuis, dans la pratique rien n’a pourtant été fait pour, alors même que le projet existe et que les fonds aussi. Il y a semble-t-il des difficultés bureaucratiques, notamment car le parc contient aussi des terrains effectivement privés ou appropriés par des privés, et que la bataille des documents légaux est longue.

Si certaines des habitations abusives sont occupées par des pauvres, d’autres le sont par des riches. Une membre de l’association, m’explique que les pauvres pourraient rester, qu’il n’est pas question de mettre à la rue des personnes qui n’ont pas les moyens de vivre ailleurs. On peut, d’autant plus, remarquer qu’ils ne sont pas le cœur du problème.

Spéculation. Tennis Club déjà existant, avec en projet une piscine. Ce projet privé s’étale abusivement sur des terres publiques. Non loin de là, des villas. Certaines avec de hauts murs et des fils barbelés au-dessus. Parfois, des caméras de vidéo-surveillance. Puis, au détour d’une rue, une BMW de sport et une Mercedes.

Face à un terrain de Paintball, un terrain vacant. La villa qui y était érigée avait finalement été confisquée, puis rasée. Une association de pompiers voulait y faire, à la place, des jardins. Mais ils n’ont finalement pas obtenu l’accès à l’eau de la Commune.

À l’avancée du projet du parc Villa Turrisi s’opposent des blocages, parfois insidieux. Les maires peuvent bien changer, soutenir des initiatives, au moins dans leur discours, les fonctionnaires, eux, restent en place : il suffit d’en corrompre certains, et d’autres font directement partie de sales réseaux.

Pour ne donner qu’un cas récent, on peut rappeler qu’il y a quelques jours à peine, la juge Silvana Saguto, en était à son troisième procès – du côté des accusés ! Corruption, concussion, détournement, fraude, blanchiment, l’ex présidente à la gestion Mesures de prévention du tribunal de Palerme n’avait sans doute mesuré la gravité de ses actes, ni prévu les écoutes téléphoniques. Elle, qui avait notamment pour mission la nouvelle assignation des biens et propriétés confisqués, avait pour habitude de les assigner à ses amis. Mais quand on aime, on ne compte pas ! Un bien est séquestré à un mafieux ? Faisons en sorte qu’il retourne à la mafia.

À Villa Turrisi, ce problème n’est semble-t-il pas inexistant, même s’il ne faut pas trop en parler. Une loi permet que les héritiers d’une personne à qui la justice a confisqué un bien puisse le récupérer. Si l’on sait tendre l’oreille, des bruits courent dans le quartier, bien qu’il faut rappeler que cela ne constitue pas une preuve. Certains disent que des terrains du parc appartenaient à des proches de l’ingénieur Michele Aielo, condamné par la justice italienne pour association mafieuse. D’autres disent « à Michele Aielo lui-même ». Cela aurait bénéficié à quelques personnes de la famille, ou des familles impliquées.

Pour la petite histoire, d’après le collaborateur de justice Nino Giuffrè, Aielo était un prête-nom du célèbre boss Bernardo Provenzano. Aielo, mafieux de Bagheria a pris dans le passé sa part dans bien des marchés publics, notamment dans le secteur de la construction de routes. C’était aussi un investisseur dans le secteur du sanitaire, devenu propriétaire, par exemple, du centre d’oncologie Villa Santa Teresa. Mais, après tout, quand des amis enterrent des déchets toxiques, ça produit des cancéreux. Il faut des infrastructures pour les traiter. Un marché s’ouvre, alors pourquoi ne pas profiter de l’aubaine ? C’est comme créer sa propre demande.

Il serait temps que le projet du Parc public Villa Turrisi soit réalisé, que ce bout de verdure soit sauvé des griffes des spéculateurs. Mais cela tarde, ce qui use les forces des militants de l’association, ce qui en déprime certains qui retournent alors à leurs affaires personnelles. Une militante de l’association m’en parle : « Au début, il y avait de l’enthousiasme, on était plein, mais quand ils voient à quel point il peut être long et difficile d’obtenir des résultats, certains s’impliquent de moins en moins. C’est aussi une question de temps, moi je suis assez âgée, j’ai du temps, mais il y en a qui sont trop fatigués, trop pris par leur travail. Par ailleurs, il faut aussi vraiment que la municipalité s’engage concrètement dans le projet, le mette en œuvre, l’accompagne, car nous n’avons pas les mêmes armes. Je ne dis pas que, nous militants associatifs risquons de nous retrouver avec des bombes sous nos voitures, mais bon … on ne peut pas vraiment aller très loin. Plus on en fait, plus on risque de se mettre en danger. La lutte pour le parc, c’est aussi une lutte contre la mafia, parce que quand on veut maintenir un peu de nature, on s’oppose aux possibilités de quelques uns d’accumuler du fric grâce aux spéculations immobilières ».

“Ma la mafia non vince !” : quartier Guadagna à Palerme, Arcobaleno 3P – un reportage du Construction Sociale Club

Notes préliminaires : Le problème mafieux ne touche pas seulement le sud italien, bien qu’il y soit particulièrement grave. Si le Construction Sociale Club s’y intéresse, c’est que le secteur du bâtiment est bien concerné par ce phénomène, même en France : spéculations immobilières, marchés publics truqués, destructions environnementales, exploitation d’une main d’œuvre sous-payée et on en passe … Cet été, nous publierons plusieurs reportages et entretiens sur la Sicile, afin d’envisager la question – et voir ce que nous pouvons faire – dans une perspective internationaliste. Car les mafias, elles, n’ont jamais attendu pour se mondialiser…

Le Quartier Guadagna, régulièrement à la une des chroniques journalistiques. Un des bastions de la Cosa Nostra, un centre du trafic de drogues : extasy, cocaïne et la morbide héroïne. Les routes de cette dernière sont nombreuses, et parfois longues, pour arriver sur les places délabrées de ce quartier. Opium produit en Afghanistan, au Pakistan, en Iran, parfois dans le sud est asiatique, puis acheminé via la Turquie. Il y a ensuite la route européenne, via les Balkans, la route du sud, celle de l’Afrique orientale et la route plus directement méditerranéenne (d’est en ouest). Des containers sont acheminés dans le port de Marseille, mais aussi dans ceux des pouilles, de Sicile, et bien sûr dans celui de Gioia Tauro, notamment connu pour l’import de cocaïne en Europe – elle provient, à l’inverse de l’héro, souvent de l’ouest (production en Colombie, au Pérou ou encore en Bolivie). Le port sans joie de Gioia, fait pourtant partie depuis 2003 du réseau Megaport : il est censé être sous surveillance particulière de personnels étasuniens collaborant avec la douane locale. Dans la pratique, cela ne l’empêche pas d’être toujours sous contrôle de la ‘ndrangheta, la célèbre mafia calabraise. Cherchez l’erreur.

Dans le quartier Guadagna, la drogue est à meilleur marché qu’ailleurs. C’est pas les prix lyonnais, ça c’est sûr. C’est la pauvreté, les immeubles délabrés et pas de services sociaux officiels dans tout le quartier. « Officiels », car il y a pourtant un lieu d’accueil : l’Arcobaleno 3P, en référence aux 3 P de Padre Pino Puglisi, ayant officié et lutté contre la mafia à Brancaccio, non loin de Guadagna, et assassiné devant chez lui le 15 septembre 1993, jour de son anniversaire, d’une balle dans la nuque1. Ce qui le branchait Padre Pino Puglisi c’était l’éducation, tout comme la sœur Anna Alonzo qui a ouvert l’Arcobaleno de Guadagna.

Édifice abandonné depuis une vingtaine d’années, ce fut un collège, puis il fut loué pour l’école avant que la direction décide qu’il n’y aurait plus d’instruction dans le quartier Guadagna. Anna Alonzo, elle, n’était pas d’accord. Alors un jour elle a décidé d’occuper les lieux, illégalement. Il y avait tout à refaire : nettoyer les murs plein d’insultes et de menaces à caractère sexuel, enlever les seringues qui traînaient partout et la merde dans les salles.

Anna a déjà quatre procès derrière elle, pour occupation abusive. Pour avoir voulu ouvrir une nouvelle école, elle a risqué la prison mais a finalement pu bénéficier d’une peine dite alternative. Une forme d’assignation judiciaire dans un centre à caractère social, celui-là même qu’elle a ouvert. Mais, comme elle le dit elle-même, il est rare que des policiers passent dans le quartier alors ils ne viennent pas vraiment vérifier sa présence.

Anna est missionnaire. Elle a les cheveux blanc, une énergie étonnante, une poignée de main très virile, un caractère décapant, brusque, voir intimidant aux premiers abords. C’est vrai qu’il en faut du caractère pour faire ce qu’elle fait dans ce quartier.

Elle a déjà été menacée plusieurs fois, et même chopée dans la rue et ruée de coups. Mais ça, elle ne veut plus en parler : « Je m’en fous tu comprends. Tu me connais pas encore toi. Il faudra passer deux fois sur mon cadavre avant de toucher à ce lieu ! ». Régulièrement il y a des vols et de la casse, une manière de rappeler qui sont les patrons. Mais les intimidations ont leur limites, « l’arcobaleno, maintenant, ça fait partie du quartier, plein de gens d’ici y passent ».

Grâce à des dons, des travaux ont pu être fait, notamment pour récupérer le troisième étage qui était gorgé d’eau. Il y a des terrains pour jouer au ballon. De beaux graffitis colorés ornent les murs. L’édifice est composé de plusieurs salles : deux cuisines, la seule bibliothèque du quartier, une salle d’informatique, un studio pour enregistrer de la pop sicilienne, des chambres pour deux ou trois personnes. Pas de gros dortoirs : c’est une philosophie : « ce n’est pas parce que les gens sont pauvres qu’ils n’ont pas droit à un peu d’intimité ». Ici, il y a des exilés, des nigérianes sorties de la traite et qui travaillent dans un centre de couture social, des mineurs isolés, des personnes de la rue, des toxicomanes qui tentent de s’en sortir, des enfants du quartier. On peut apprendre le piano, prendre des cours de danse, apprendre à lire. L’objectif est la réinsertion sociale, mais ce n’est pas toujours évident. Les enfants viennent parfois une ou deux fois aux cours de cette école alternative, avant de déserter la classe :

« Un mi nni futti n’a scola, io travagghiu.

– unn’è ca travagghi ?

– vaiu a cuogghiri u ferro. »2

Ça crie, ça joue au ballon, ça se dispute. Un ado tente d’ouvrir mon sac à dos. « Guagliò ! ». Pas le temps d’en dire plus, Ciro, qui aide Anna, le rappelle à l’ordre, pendant qu’un autre le traite de pédé.

Rien à voir avec cette anecdote, mais il est d’ailleurs drôle de voir sur le mur à côté d’une croix catholique, et d’une invitation pour un spectacle de théâtre, une affiche pour la prochaine manifestation du groupe LGBT palermitain. La diversité fait la force et on peut être sœur catholique et soutenir les homos. Padre Pino Puglisi, lui aussi, savait accepter les différences.

Dans la grande salle de réception, il y a son portrait en grand, imprimé sur une toile. Là encore, quelques ados du quartier ont fait sans doute ce que des parents ou des grands frères leur ont dire de faire : uno sfregio, le coup de couteau que les bâtards de mafieux utilisent pour défigurer les femmes infidèles, tracé à la lime sur le visage de Puglisi. « Ils ont fait ça, avant de crier Viva la Mafia », raconte Anna ! Mais elle n’a pas voulu que le portrait soit remplacé. Il faut laisser des traces de cela. Il y a six ans, certains avaient aussi commencé à mettre le feu au bureau. Les policiers avaient refusé de venir.

Bref, on ne peut pas dire qu’on s’ennuie au centre Arcobaleno 3P ! « On s’épuise même », se plaint Anna. Tant de personnes accueillies et pas d’aides de l’État : le lieu n’est toujours pas légalisé. « Il ne me laisse même pas faire de contrat pour l’eau et l’électricité. Pour l’eau, on se branche sur le réseau de la paroisse et le gérant nous demande plus de quatre cent euros par mois. Pour l’électricité, on va essayer de s’arranger avec une entreprise autre que l’Enel. On galère avec l’argent ! Mais i figghi sunnu ru patri, pozzu annacarli n’anticchia »3.

Pourtant, à côté de l’arcobaleno, un immense bâtiment a dernièrement été retapé : une crèche. Des centaines de milliers d’euros de travaux grâce à des fonds européens. Inauguration en grande pompe. Mais oui, une grande crèche toute neuve dans le quartier Guadagna, quelle bonne nouvelle ! Le lieu n’a été ouvert qu’un mois et demi. Il est fermé depuis …

Pour Anna, c’en est trop : « À moi, on voudrait me faire payer deux à trois mille euros de loyer, alors qu’on a nous même fait faire les travaux avec les moyens qu’on pouvait, pas ceux de l’Europe. Ici, ils gèrent les choses très mal et moi je devrais laisser cet endroit vide ! Ce sont des affaires sales, est-ce que tu vois ce que je veux dire quand je parle d’affaires sales ? »

Alors, il y a un mois et demi, Anna a décidé d’agrandir l’arcobaleno, « Je m’en fiche maintenant des procès ». Il y avait une petite cour entre la crèche neuve fermée à double tour et le centre : elle a décidé de la récupérer. L’objectif ? En faire un parc de jeux pour petits. Il y a déjà quelques toboggans de plastique. Elle voudrait aussi profiter de l’espace pour faire des ateliers jardinage : des murs ont été montés pour encadrer de petits lopins de terre. « On va aussi mettre des animaux. Certains enfants sont nés dans un environnement violent, ils ont tué des poissons dans l’aquarium. Là on va avoir des lapins, des poules, et on va voir comment ils s’en occupent. S’ils en prennent soin, alors peut-être ils respecteront un peu plus les humains. C’est une tentative ».

Il faut aussi refaire le sol, et pourquoi pas, espèrent Anna et Ciro, construire un four à pizza, un vrai, un beau, en briques et tout ! Les anniversaires seraient plus beaux. Et puis quand même, on est en Italie alors un lieu de vie collectif se doit d’avoir un four à pizza !

1 : A propos de l’histoire de Pino Puglisi, on peut notamment se référer, malgré les quelques erreurs de détails qu’il contient, au film de Roberto Faenza, lui rendant hommage : Alla luce del sole, sorti en 2005

2 : « Je m’en tape d’aller à l’école, moi je travaille

– Comment ça tu travailles ?

– Je récupère le fer. »

3 : Il s’agit d’une expression : « les fils sont du Père, on peut les bercer un peu [tant qu’ils sont encore enfants] »

 

Macron donne un “Elan” au bétonnage

Ci-dessous, un article de Hervé Liffran, 
paru dans Le canard enchaîné (23.05.2018)

Remise en question de la loi Littoral, réduction du contrôle des architectes des Bâtiments de France… La loi Elan dégage la route aux bulldozers.

L’examen, à l’Assemblée, du projet de loi Elan – destinée à accélérer les procédures d’urbanisme – a ouvert toutes grandes les vannes des bétonneuses. Première victime : la loi Littoral, votée en 196 au Parlement (à l’unanimité) pour protéger de l’urbanisation les territoires côtiers. Avec l’avis « tout à fait favorable » du gouvernement, la commission des Affaires économiques à adopté, le 16 mai, des amendements qui ouvrent des brèches dans ce texte considéré comme sacré par les défenseurs de l’environnement.

Le projet, proposé le 30 mai à l’ensemble des députés, permettra de construire dans des « zones d’urbanisme diffuse » situées en bord de mer. « En clair, de bétonner des espaces restés à l’état naturel entre des constructions existantes« , résume Julien Lacaze, vice -président de l’association Sites & Monuments. Les maires pourront même y installer des équipements industriels à alibi écolo, du type centrale photovoltaïque ou éolienne.

Hulot… périmé ?

Le projet de loi libéralise, en outre, la possibilité de construire des installations agricoles dans des zones côtières censées rester vierges. Pour calmer les grincheux, le gouvernement a seulement promis, par la voix du secrétaire d’État Julien Denormandie, que la bande des 100 mètres mesurée à partir du rivage demeurerait inconstructible. C’est trop !    Dénoncés également par la puissante fédération France Nature Environnement, ces amendement ont, en revanche, été accueillis par un silence étourdissant de Nicolas Hulot. De quoi se tenir les côtes : en janvier 2017, le futur ministre de la Transition écologique figurait parmi les premiers signataires de la pétition « Ne touchez pas à la loi Littoral ! » Cet appel avait conduit au retrait d’un texte, élaboré par le sénat, ressemblant comme deux gouttes d’iode à l’actuel.

Avis pour du beurre

Emportés par leur Elan, l’Élysée et Matignon ont également bétonné les projets de construction sur l’ensemble du territoire. Avec l’article 24, qui limite fortement les possibilités de recours en annulation des permis de construire, y compris pour les associations. Et surtout, avec l’article 15, qui rogne fortement les ailes des architectes des Bâtiments de France (ABF). L’accord de ces fonctionnaires du ministère de la Culture est indispensable pour tous les chantiers concernant un monument, ses abords ou un site protégé. Mais certains maires les accusent de se montrer trop tâtillons et de gêner le développement économique.

Les chiffres les contredisent : seulement 6,6 % des 200 000 demandes qui leur sont présentées chaque année font l’objet d’un premier avis défavorable. Mieux : après négociation, il ne reste que… 0,1 % de dossiers refusés par les Bâtiments de France.

Le gouvernement, soucieux de séduire les élus locaux, a décidé de s’attaquer à ce 0,1 % au marteau-pilon. L’avis des ABF sera, à l’avenir, purement consultatif pour les permis de démolition concernant les immeubles (pittoresques ou remarquables, mais non classés) décrétés insalubres ou en péril.

Même régime pour des bâtisses visées par des opérations de revitalisation lancées par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Dans le secteur sauvegardé de Perpignan, par exemple, la mairie et l’Agence pourront concrétiser leurs projets de destruction de certains immeubles médiévaux mesquinement bloqués, jusqu’à présent, par les Bâtiments de France.

Têtes de pioche

Les ABF conserveront leur droit de veto pour certains permis de construire et pour les monuments historiques classés. Une disposition de la loi Elan en dégonfle toutefois la portée. Elle prévoit de ne plus accorder aux préfets qu’un délai de cinq jours pour répondre aux recours en annulation déposés par les promoteurs ou les maires. Passé le temps imparti, l’avis défavorable partira au panier…

Ces dispositions n’ont nullement défrisé Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, qui s’est montrée aussi taiseuse que son collègue Hulot. Pourquoi préférer les vieilles pierres au jeune béton ?